Multifonctionnalité Agriculture Diane Parent
|

La multifonctionnalité pour replacer l’agriculture au cœur du territoire rural

Face à l’évolution climatique et aux attentes sociétales, les nouveaux modèles agricoles doivent se (re)construire sur une approche plus diversifiée, plus intégrée au territoire.

Diane Parent, professeure au Département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’université Laval du Québec, présente l’évolution des modèles et des objectifs de l’agriculture dans le milieu rural. Son article D’une agriculture productiviste en rupture avec le territoire à une agriculture durable complice du milieu rural (publié en 2001), explique comment multifonctionnalité et durabilité sont indissociables dans les nouveaux modèles agricoles.

La rupture entre l’agriculture traditionnelle et le milieu rural

L’évolution des modèles agricoles, des secteurs économiques et des attentes sociétales ont changé la place de l’agriculture dans le territoire. La vie rurale ne peut plus se construire autour de la seule fonction agricole. Même si l’activité agricole a historiquement structuré le territoire rural, la part de la population agricole diminue au sein de la population rurale (moins de 15% au Québec en 1997). En France, en 1997, la population agricole en France représente 2,9% de la population totale (pas seulement rurale), d’après l’INSEE.

Des dynamiques contraires se mettent en place.

  • Des agricultures performantes se développent dans des zones rurales isolées qui se désertifient socialement (moins d’habitants, moins de diversité) et économiquement (moins d’activités).
  • Le nombre d’exploitation diminuent et les exploitations se concentrent.
  • La productivité des ressources a été multipliée par 5 en 50 ans, et pourtant les exploitations sont de plus en plus fragiles.

Le modèle agricole actuel s’est construit dans une logique productiviste : nourrir le plus efficacement possible une population urbaine croissante. Ce modèle s’est construit dans un contexte d’exploitation de l’environnement, avec les impacts négatifs que l’on connaît. La tradition paysanne de valorisation d’un écosystème s’est perdue dans l’industrialisation des process de production.

Cette logique productiviste et industrielle a aussi détourné l’agriculture de ses marchés de distribution locaux, pour cibler des marchés d’exportations et des filières longues.

Ainsi, l’agriculture s’est coupée au fil du temps de son territoire, de ses ressources, de ses habitants et de sa viabilité économique. Les acteurs des territoires (producteurs, consommateurs, élus) cherchent faire évoluer le modèle actuel et intégrer de nouvelles dimensions à l’agriculture, bien au-delà de la seule fonction productive de denrées alimentaires.

Une agriculture multifonctionnelle pour reprendre place dans le territoire

Face aux objectifs et aux dérives d’une agriculture modernisée, intensifiée et spécialisée, les années 90 voient émerger de nouvelles demandes sociétales, des nouvelles attentes pour l’agriculture. L’agriculture se devra d’être multifonctionnelle.

Selon le glossaire de 1999 de l’OMC, la multifonctionnalité est « un concept selon lequel l’agriculture a de nombreuses fonctions outre la production d’aliments et de fibres ; par exemple la protection de l’environnement, préservation des paysages, emploi rural, etc ».

L’agriculture doit donc avoir des fonctions sociale, économique, environnementale et culturelle. C’est ce que représente Christine Lang dans son étoile de la multifonctionnalité (cf ci-dessous). L’agriculture remplie ici cinq fonctions principales qui l’ancrent, l’intègrent dans son territoire rural.

Etoile de la multifonctionnalité, d’après Lang, Christine (2001), « Ouvrir l’exploitation sur les services », Travaux et Innovations, n° 75,

Selon l’auteure, choisir la voie de la multifonctionnalité renforce la durabilité des exploitations, des modèles et des milieux.

La durabilité dans le cadre des exploitations et des milieux ruraux

L’autrice Diane Parent définit la durabilité comme « un développement qui s’inscrit dans une perspective de long terme et qui peut se mesurer en termes de niveau de revenu, d’équité, d’emploi, d’occupation du territoire, ainsi que de préservation de l’environnement et de la biodiversité. »

La durabilité prend en compte les différentes dimensions de l’agriculture : économique, sociale, écologique, agricole et culturelle. Ces cinq dimensions (les cinq branches de l’étoile) sont nécessaires pour structure des exploitations pérennes et intégrées à leur territoire.

Le chercheur Etienne Landais précise que « la durabilité résulte du type de rapport que les exploitations entretiennent avec leur milieu » (Landais, «Esquisse d’une agriculture durable », Travaux et Innovations n° 43). Selon lui, on compte 4 types de rapports :

  • le lien économique, qui se traduit par les liens entre acteurs des filières, des marchés, leurs intégrations relatives
  • le lien social externe, à travers l’intégration des producteurs dans le tissu social et politique local
  • le lien socio-économique interne, qui concerne la gestion des ressources de la ferme et la transmission de l’exploitation
  • le lien écologique, qui concerne la gestion des ressources naturelles sur le temps long.

A ces quatre liens, E. Landais et D. Parent déclinent 4 critères de durabilité de l’exploitation agricole qu’ils relient comme dans le schéma ci-dessous :

  • Viabilité : sécurisation à long terme du niveau de revenu
  • Vivabilité : la qualité de vie des exploitants et celle de leur famille
  • Transmissibilité : Le potentiel de transmission des exploitations et la place de l’agriculture dans le développement agricole et économique local
  • Reproductibilité : renvoie à la prise en compte des ressources naturelles, de leur maintien et de leur reproduction dans des pratiques agricoles.
Les piliers de la durabilité des exploitations agricoles, D. Parent d’après Landais 1997

Que retenir pour dimensionner des projets agricoles durables sur les territoires ?

L’approche présentée par l’autrice rejoint la méthode IDEA, méthode qui évalue la durabilité à l’échelle de l’exploitation agricole, développée depuis les années 2000. La méthode IDEA est issue de projets de recherche partenariaux autour de l’INRAE.

Dans IDEA, 5 critères sont considérés pour définir la « durabilité forte » des exploitations :

  • L’ancrage territorial
  • L’autonomie
  • La capacité productive et reproductive de biens et services
  • La robustesse
  • La responsabilité globale

Cette approche globale, pluridisciplinaire est gage de durabilité pour les exploitations et offre aux producteurs un cadre structuré pour considérer et faire évoluer leur ferme.

Pour conclure, citons l’autrice : « Cette durabilité ne peut en rester aux exploitations ; elle s’étend à l’échelle des localités car il n’y a pas d’exploitations vivantes dans des localités mortes et vice verse. […] Elle questionne aussi les modèles de développement : qu’on le veuille ou non, l’agriculture est devenue un système technologique complexe dont découlent des risques à sa mesure […] et, en bout de ligne, des réactions de doutes, voire d’inquiétude, de la société envers le système alimentaire. »

L’article de Diane Parent est accessible au lien suivant : Parent, D. (2001). D’une agriculture productiviste en rupture avec le territoire à une agriculture durable complice du milieu rural. Téoros, 20(2), 22–25. https://doi.org/10.7202/1071639ar

A lire également