Et si cette crise donnait une autre dimension aux jardins partagés et familiaux ?
Aujourd’hui, la culture d’un potager répond à nombre de besoins qui nous apparaissent (enfin ?) essentiels : besoin d’exercice physique, de sortir de chez soi, de prendre l’air, de défouler les enfants et de leur offrir une activité saine et pédagogique, besoin de s’alimenter, besoin de lien social, etc. Mais tout le monde n’a pas la chance d’avoir un jardin.
A l’heure de la mise en quarantaine liée au Covid 19, nous sommes enfermés chez nous, en appartement ou en maison, pour une durée mal définie. Au-delà d’être un loisir et un lieu de transmission, le jardin peut aussi être une source de revenu non monétaire, permettant de produire une nourriture qu’on ne pourrait pas se permettre d’acheter.
J’ai des amis pour qui aller au jardin est vital, tant pour leur équilibre mental que pour remplir le garde-manger de la famille. Pour être sûr de pouvoir aller au jardin partagé dans cette période cruciale, ils se sont procuré plusieurs poules le premier jour de confinement pour garantir leur approvisionnement en oeufs et être présent au jardin chaque jour pour préparer la saison ! En plus des œufs frais et des premières productions, ils profitent d’une activité extérieure qui les maintient en forme hors de leur appartement.
Le jardin, espace de résilience urbaine
Depuis longtemps, le jardin familial assure une partie des ressources des familles, un complément de revenu essentiel pour certains. Je pense aux jardins des mineurs dans le Nord, ou encore aujourd’hui, au potager que conservent des agriculteurs.
Les jardins partagés sont plus récents (années 70) dans la forme que l’on connait aujourd’hui. Ils découlent notamment des Greens Guerillas, et des community gardens venus des Etats-Unis. La transmission et le partage sont souvent plus important que la production alimentaire dans les jardins partagés.
Ces jardins revêtent une importance nouvelle avec le confinement. C’est une extension du domicile, l’occasion d’aller prendre l’air, une « oasis verte où se retirer » pour ce retraité Suisse. En Angleterre accéder aux allotments est autorisé dans le respect des fameux gestes barrières.
Au Canada, la province de l’Ontario a fermé les jardins partagés comme étant des lieux de détente non-essentiels. Les associations concernées demandent leur reclassement dans la catégorie des marchés et des épiceries, car les jardins sont un maillon essentiel de l’approvisionnement alimentaire pour des milliers de familles. A New-York, les jardins communautaires sont réservés aux seuls membres adhérents qui entretiennent le jardin, mais interdits au public en cette période.
15% d’autonomie alimentaire des villes grâce aux jardins cultivés
Une étude de l’University of Sheffield (Royaume-Uni) de Mars 2020 étudie la cartographie des infrastructures vertes consacrées à l’agriculture urbaine dans l’aire urbaine de Sheffield, et la compare aux autres espaces qui pourraient accueillir de l’agriculture urbaine (parcs, jardins, bâtiments). Les auteurs analysent des espaces avec une approche technique et économique, en distinguant les lieux pour agriculture en sol et ceux pour agriculture hors-sol. Résumé des principaux apprentissages de cette étude.
Les auteurs nous montrent que la surface disponible AU SOL pour la production agricole, tant dans les espaces verts publics que privés, est plus que suffisante pour satisfaire la demande en fruits et légumes de la population de l’agglomération de Sheffield (580 000 habitants).
> La possibilité de doubler la surface de production de fruits et légumes en ville !
- Au Royaume-Uni, sur près de 16000 km² d’espaces définis comme urbains, 50% sont occupés par des infrastructures vertes. Cette surface représente 5.3 fois la surface agricole consacrée à la production maraîchère et fruitière dans le pays !
- Les jardins familiaux (allotments) constituent une ressource importante pour la production urbaine, en termes de surface (1.3% des infrastructures vertes de Sheffield). Ces jardins font en moyenne 250 m².
- Les jardins particuliers comptent pour 38% de la surface en infrastructures vertes et ont un potentiel énorme pour la production individuelle en pleine terre.
- Les auteurs ont identifiés que 15% des 10600 ha d’infrastructures vertes de la zone étaient propices à la culture. Ainsi, près de 1200 ha de parcs, jardins publics ou privés ou accotements routiers pourraient être transformés en jardins familiaux et 400 ha en jardins partagés (community gardens). Cela représente 98 m² potentiellement cultivable par personne de Sheffield, la plus grande partie sur les espaces de jardins privés.
Ce calcul très théorique est bien entendu surestimé, car ces espaces ont aussi des fonctions de détente, de déplacement, d’accueil de biodiversité, … Mais les auteurs concluent cet exemple en comparant ces 98 m² avec le ratio de la surface agricole cultivée en fruits et légumes au Royaume-Uni par habitant : 23 m² ! Cultiver un quart de la surface disponible dans l’aire urbaine de Sheffield permettrait de doubler la surface de production de fruits et légumes par habitant !
PS : on ne parle pas dans cette étude de la qualité des sols, de la présence de pollution.
> Moins d’opportunités pour les agricultures hors-sol
Se basant sur les progrès de l’hydroponie et de l’aquaponie, les chercheurs évaluent le potentiel des toitures plates de Sheffield pour une production agricole sous serre en toiture.
Leur analyse est moins concluante sur ce point, car même une estimation haute des surfaces (sans tenir compte de la faisabilité technique et économique des projets de serre), conduit à une surface disponible de 0.5 m² par habitant. A comparer aux 98m² disponibles au sol.
Certes, les serres en toiture peuvent permettre d’obtenir de hauts potentiels de rendement, mais ces projets sont complexes, longs à mettre en oeuvre et très coûteux (pour aller plus loin : La fin de la bulle des serres urbaines). Les défis techniques et technologiques sont nombreux, comme on peut le voir avec le projet Interreg Groof (Greenhouse for CO2 reduction on roofs).
> Le potentiel de production des jardins familiaux
Une étude citée montre que les jardins familiaux répondent aux besoins en fruits et légumes de 3% de la population sur l’agglomération de Leicester (UK), de même à Sheffield. Selon des hypothèses réalistes d’expansion de ces jardins (réalistes notamment dans un contexte de la crise du Covid où l’alimentation redevient un enjeu prioritaire), les allotments de Sheffield, actuels comme à créer, pourraient alimenter en fruits et légumes 15% de la population. (125% si tous les espaces adaptés étaient mis en culture !).
Les défis culturels et sociaux sont grands pour arriver à ce changement d’utilisation des surfaces. Changer un parc public en jardin privatisé ou communautaire soulève de nombreuses questions sur les usages, les aménités, les perceptions de ces espaces par les différents publics. Des crises comme celle que nous vivons sont des opportunités de repenser ces espaces verts et de les voir comme des espaces vivants, évolutifs, qui procurent des services variés.
L’offre diversifiée de potagers et jardins pour produire ses légumes
L’attrait pour le jardin et pour l’autoproduction ne date pas d’aujourd’hui. On constate depuis plus de 20 ans un regain d’intérêt pour le jardin, le potager, la cuisine, en lien avec le développement des circuits courts, du mieux-manger. Avec la quarantaine à l’échelle mondiale, la diversité des solutions pour cultiver et produire chez soi est mise en avant. On n’est pas que sur de la vocation alimentaire, mais avec la quarantaine la question alimentaire prendre de l’importance.
Quelques exemples inspirants :
> Des jardins en kits livrés près à l’emploi, pour novices urbains
- Aux Philippines, le ministère de l’agriculture distribue des plantes et des équipements de culture à la population. Il fait la promotion de l’agriculture urbaine dans l’objectif d’assurer la sécurité alimentaire des habitants, par une certaine autoproduction. Les nouveaux cultivateurs sont accompagnés pour produire une nourriture saine en quantité dans leur cour. (Source)
- En France, des entreprises vous livrent des kits potager, terreau et de l’accompagnement pédagogique pour bien débuter. Par exemple Carré Serre propose des potagers kits en bois, ou encore Biopratic avec ses bacs en plastique à hauteur.
- Les recherches de graines et de plants, de terreau explosent avec la quarantaine, du fait de la peur de la pénurie et du temps que les gens ont chez eux.
- Et toujours moult tutoriels en ligne pour construire son jardin avec des matériaux de récupération, et pour démarrer le jardinage et le potager.
> Les jardins individuels, familiaux
Les formes de jardins se diversifient ces dernières années, sous l’impulsion de collectivités, d’associations ou de privés.
A Paris, la Charte Main Verte accompagne depuis plusieurs années la mise en place et le fonctionnement des jardins partagés de la capitale. A Annecy, la collectivité à mise en place 100 parcelles mixant jardin partagé et familial, de 25 à 30 m² chacune, et 300 demandes sont arrivées, preuve de l’engouement des habitants pour le jardin. A Londres, les listes d’attente pour les jardins familiaux comptent plusieurs centaines de personnes !
Face à cette demande et au manque de ressources des collectivités pour y répondre, des modèles privés se développent. C’est le cas par exemple des Potagers de Gally dans les Yvelines, qui proposent la location annuelle d’un jardin de 50 m² avec des cultures en bac à hauteur. Pour les adeptes de la culture verticale, Peas And Love loue sur plusieurs toits en France et en Belgique des potagers hors-sol ; dans ce cas, la culture est faite par un maraîcher et vous ne venez que récolter.
> Les jardins privés et les espaces verts des copropriétés
Le potager partagé répond parfaitement à la recherche de sens et d’autonomie dans nos vies quotidiennes. C’est un facteur d’échange et de lien social. C’est une alternative durable au traitement traditionnel des espaces verts de copropriété, avec une vraie plus-value paysagère et humaine à moindre coût.
L’étude de l’Université de Sheffield le montre bien. Les espaces et jardins privés sont le plus grand et le plus facilement accessible pour démarrer une culture alimentaire. Ces dernières années, on a vu de nombreuses expériences de famille qui se lancent dans l’aventure de l’autonomie alimentaire dans leur appartement, dans leur cour, dans leur jardin (exemple avec Milkwood d’une transformation de jardin en potager en 8 semaines, ou avec Bay Branch Farm).
Un espace reste encore trop peu utilisé : les espaces verts des copropriétés. Souvent rendus inaccessibles ou incultivables par des règlements de copropriété, ces espaces peuvent devenir le cœur d’un projet collectif, partagé. Le développement des compostages de copropriété, avec des maîtres-composteurs, ouvre la voie au potagers de copropriétés encadrés par des maîtres-jardiniers.
Les exemples se multiplient, que ces potagers soient à l’initiative des constructeurs et des promoteurs, des bailleurs ou des habitans (potagers partagés de la résidence Lumia à Eysines par Gally, ferme participative de Pantin par Toits Vivants, …).
Avec le confinement, des résidences tolèrent la culture maraîchère dans les espaces verts privatifs et/ou collectifs (souvent interdite dans les règlements), en mettant toutefois en garde contre les risques de pollution du sol. Des solutions de potagers en bacs sont parfaitement adaptées.
Cette crise nous donne l’occasion de cultiver, chacun à son échelle, quelques herbes sur un bord de fenêtre ou de mettre en culture la cour de l’immeuble. De nous réapproprier un petit bout de notre alimentation, d’égayer nos journées en observant la nature. De retrouver des goûts perdus de son enfance ou de sa culture. Alors, tous au jardin, tous au balcon !