L’agriculture urbaine est-elle plus résiliente que la rurale ?

La résilience et la ville durable au cœur de la communication

Les promoteurs de l’agriculture urbaine construisent leur projet, leur discours et leur marketing en opposition avec le système alimentaire industriel. « La majorité de la population mondiale vit en ville, produisons durablement en ville pour la nourrir. » En Europe, le système alimentaire (système alimentaire : acteurs, produits et flux, depuis le champ jusqu’à l’élimination des déchets des filières alimentaires) est en grande partie industriel et est source de nombreux problèmes et de sérieuses menaces pour la société et l’environnement (pollution, crises sociales, chute de la biodiversité, réchauffement climatique, perte de diversité culinaire, problèmes de santé …).

L’agriculture urbaine est affichée comme plus saine, plus bio, plus durable, plus juste que sa lointaine cousine l’agriculture conventionnelle industrialisée. Mais il est difficile de comparer quelques fermes isolées qui ne produisent que quelques tonnes ou dizaines de tonnes à un système alimentaire qui nourrit en quantité (à défaut de qualité parfois) des millions de gens.

Pourtant, le développement de l’agriculture urbaine participe à créer des systèmes alimentaires plus durables et plus résilients. En multipliant les lieux de production sur petites surfaces au plus près des consommateurs. En racontant l’histoire des produits et en apportant de la transparence sur les techniques de production. En redonnant aux consommateurs du pouvoir de choix des produits et des filières qu’ils veulent soutenir. Et parfois, en s’inscrivant dans l’économie circulaire, en privilégiant des techniques valorisant les ressources renouvelables locales.

Les initiatives actuelles d’agriculture urbaine ne nourriront pas les villes, mais elles montrent la voie de ce que pourraient être demain de nouvelles filières locales. Elles remettent en question la division verticale du travail au sein des filières agricoles et alimentaires, qui fait qu’aujourd’hui, de nombreux producteurs « traditionnels » font dépendre leurs décisions techniques et commerciales des conseils orientés des coopératives qui leur fournissent les intrants, les matériels et leur achètent les produits à des prix non négociables.

Les prémices de nouvelles filières

L’agriculture urbaine replace l’agriculteur, le paysan ou le producteur (choisissez le terme que vous préférez) au cœur de la production alimentaire. Le producteur urbain choisit ce qu’il veut produire, s’il veut transformer ou non, s’il veut accueillir et animer. Il tire parti du flou juridique, technique, économique (pour combien de temps encore ?) dans lequel se développe l’agriculture urbaine qui laisse place à l’innovation, à la créativité dans les solutions techniques et les projets économiques.

Les agriculteurs urbains sont souvent issus de milieux non agricoles et ont fait des études ou une carrière dans d’autres secteurs que l’agriculture. Ils débutent leur projet agri-urbain avec un réseau amical et professionnel riche, qui favorise les initiatives locales et les partenariats, parfois insolites, avec l’écosystème local. Sans forcément que ce soit conscient, nombre de projets d’agriculture urbaine sont dans une démarche d’économie circulaire, qui rend leur modèle plus robuste.

De nouveaux modèles économiques se créent, de nouvelles techniques s’inventent en ville, qui n’auraient surement pas pu voir le jour dans un autre contexte. Mais l’agriculture urbaine doit aussi s’inspirer de l’économie agricole traditionnelle pour mettre en place un modèle robuste.

Des aléas importants à prendre en compte

Faire un business plan pour l’agriculture urbaine, c’est assez facile. En contactant quelques fournisseurs et quelques clients cibles, vous arriverez à construire un business plan cohérent, avec un résultat positif au bout de quelques années. Mais, si c’était aussi simple, les agriculteurs français auraient un revenu annuel moyen supérieur aux 13 000 à 15 000 € par an constatés en 2016 (chiffres MSA), pour plus de 70 h de travail par semaine.

L’agriculture reste un secteur fortement dépendant des aléas naturels : climat, insectes, interactions entre processus biologiques, etc. La production est très dépendante des conditions de température, d’ensoleillement, de précipitations, de vent, que ce soit pour la croissance et la fructification des fruits par exemple, ou pour le développement de maladies ou de ravageurs. Les produits agricoles sont périssables, notamment les fruits et légumes. Des caractères essentiels de la qualité, tels que la couleur, la fermeté ou le croquant, dépendent de la possibilité de récolter les produits à maturité et décroissent rapidement avec la durée de stockage. Le client est très sensible à la qualité visible du produit frais.

Certains veulent éliminer ces aléas. Ils investissent massivement (plusieurs millions d’euros) pour construire des usines végétales, en cultivant en milieu fermé des fruits et légumes. L’air, l’hygrométrie, la fertilisation, les spectres lumineux, le taux de CO2, … tout est contrôlé et piloté par un ordinateur central. Résultat : beaucoup d’investissement, beaucoup de consommations d’énergie et des produits normés et standardisés.

Créer un projet agricole résilient

L’agriculture urbaine est massivement bio ou du moins zérophyto (puisque le label bio n’est pas compatible avec la culture hors-sol). Elle cible une meilleure rémunération des producteurs en ciblant des marchés à plus forte valeur ajoutée. Elle crée beaucoup d’emploi (même si ces emplois peinent à être rémunérés dans certains cas) par unité de surface du fait d’une faible mécanisation et d’une forte densité de production.

Mais l’agriculture urbaine peut aussi adopter à des mauvaises pratiques urbaines. Installer une ferme sur un toit ou dans un cœur urbain, comme cela se fait beaucoup en ce moment, impose à l’agriculture de se conformer à certaines règles d’architectures, d’urbanisme et de sécurité. En intégrant les normes incendie, arrachement au vent, accès dédiés pour l’évacuation, on peut vite arriver à des fermes qui coûtent de quelques centaines de milliers d’euros à plusieurs millions d’euros d’investissement (cas notamment des serres en toiture), pour des surfaces de 100 m² à 2000 m². Pour le même prix, une ferme périurbaine de grande taille aurait pu être créée, avec une production plus importante pour alimenter durablement les villes et créer une économie locale plus riche.

Quand on lance un projet agricole innovant, il ne faut pas considérer que le scénario le plus positif ou le plus séduisant intellectuellement. Le monde bouge vite, les tendances sont de plus en plus volatiles. Pour se développer et se pérenniser, les fermes urbaines ont tout intérêt à s’inspirer des vieilles logiques agricoles :

  1. S’adapter à son écosystème, faire évoluer son projet pour qu’il s’inscrive dans un contexte, qu’il tire parti des contraintes et des opportunités offertes localement. Peut-être des ressources gratuites à valoriser (chaleur, compost, eau, logistique, compétences), des clients avec des besoins inexplorés, ou des partenaires avec qui créer un projet robuste.
  2. Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier : se spécialiser ou se diversifier ? Quelles sources de revenus complémentaires imaginer ? Comment diversifier ses clients ? Que deviens le projet si le client ou le fournisseur principal disparait ?
  3. Adopter l’approche lean startup : commencer petit, tester, valider, impliquer ses futures clients et partenaires et grossir avec eux. L’agriculture urbaine demande beaucoup de compétences que l’on ne peut apprendre qu’en faisant.

Ces trois points sont pour moi la base d’un projet robuste, durable, résilient.

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