S’associer avec la grande distribution pour lancer son projet agri-urbain ?
La grande distribution (autrement appelée les GMS, pour Grandes et moyennes surfaces,) est un acteur incontournable de la distribution alimentaire en France et dans le monde. Des entreprises comme Carrefour, Casino (avec les enseignes Monoprix, Franprix, Leader Price), Leclerc ou Auchan représentent plus des deux tiers des achats de fruits et légumes en France. Ces enseignes sont surtout associées au paysage périurbain avec leur architecture de boîte à chaussure et leur parking. Mais, depuis plusieurs scandales sanitaires et avec l’engouement pour les circuits courts, la grande distribution cherche à redorer son blason auprès des consommateurs et tend la main à l’agriculture urbaine.
Agriculture et grande distribution, un rapport de force inégal qui contraint les producteurs depuis plusieurs décennies
La grande distribution est née de petits commerçants qui ont se sont développés, se sont regroupés et ont su développé de grandes entreprises. Un des secrets de la grande distribution est sa gestion de la trésorerie : les GMS font payer les clients dès qu’ils achètent et payent leurs producteurs 30 jours ou plus après la livraison. Ainsi, ils s’assurent une trésorerie positive qui leur permet de se développer encore plus rapidement.
Avec le temps, pour gagner en efficacité logistique et en rentabilité, les GMS se sont équipés de plateformes qui centralisent les achats et les dispachent ensuite dans les différents magasins. Les volumes demandés aux fournisseurs pour être référencés sont de plus en plus grands et les prix sont tirés vers le bas. Pour les produits agricoles frais, seules de grosses exploitations spécialisées et très mécanisées sont capables de répondre à cette demande de volume et cette course aux prix bas.
La culture de la grande distribution a fait de grands dégâts dans la profession agricole. Les négociations se faisaient uniquement en prix, peu importe la qualité du produit, le temps passé par l’agriculteur, son coût de revient. Et les mauvaises années, les producteurs ne s’y retrouvent pas et vendent sous leurs coûts de revient. On a alors des manifestations d’agriculteurs, des remorques de fumiers vidées devant les supermarchés, des litres de laits épandus sur les parkings, … Bref, l’image d’une agriculture en guerre contre la grande distribution pour avoir des prix rémunérateurs.
La grande distribution s’affiche comme un acteur du monde agricole
Et pourtant, la grande distribution s’affiche comme le partenaire de la juste rémunération des agriculteurs. Un marqueur important, le Salon International de l’Agriculture de Paris, grand messe annuelle de la profession agricole, avec ses concours de produits et de bétail. Depuis plusieurs années, des enseignes de la grande distribution installent leurs grands stands au milieu des vaches et des cochons, au plus proche des producteurs du salon.
La marque Lidl est un exemple frappant de ce rapprochement affiché des intérêt du producteur, avec des affichages de producteurs du terroir dans tout le métro parisien et la distribution de sacs cabas aux couleurs de l’agriculture française.
Les autres enseigne ne sont pas en reste, comme on peut le voir dans les exemples suivants :
Mais ne nous y trompons pas, ils répondent à des attentes du consommateur, à la recherche de sens et de bonne conscience. Dans certains cas, il s’agit aussi pour ces chaînes de sécuriser leurs approvisionnements en s’assurant que leurs fournisseurs clés n’auront pas fait faillite la saison suivante.
L’agriculture urbaine sert le discours de la grande distribution, qui lui fournit en échange les moyens de se développer
les exemples se multiplient de projets associant directement agriculture urbaine et grande distribution.
Wholefoods Market aux Etats-Unis s’associe à Gotham Greens pour produire en toiture. Un projet gagnant-gagnant qui apporte une vraie différenciation à l’enseigne alimentaire.
Un supermarché Carrefour en Seine-et-Marne installe 1200 m² de potagers en bacs hors-sol sur sa toiture et en confie la gestion à un lycée agricole voisin. Plus d’infos
Auchan se développe aussi dans l’agriculture urbaine, à travers des projets sur les toits des grandes surfaces (comme ici le Jardin Perché dans la région Lyonnaise) ou en affichant sa volonté d’être 100% local sur certains de leurs magasins en installant une centaine d’hectares agricoles sur leurs réserves foncières. Plus d’infos
Qu’on a y gagner les agriculteurs urbains ?
La grande distribution a tout intérêt à reconstruire du lien avec ses clients et ses fournisseurs en affichant, à travers l’agriculture urbaine, sa bonne volonté et ses bonnes pratiques en lien avec l’agriculture.
Mais pour les agriculteurs urbains, quel bénéfice ? Certains crient déjà au scandale, en pointant du doigt la récupération marketing de l’agriculture urbaine et des circuits courts par les GMS, alors que la guerre des prix se poursuit avec la grande majorité des fournisseurs. C’est vrai. La GMS ne changera de modèle que pour se différencier de ses concurrents ou pour sécuriser ses approvisionnements.
Et pourtant, c’est une véritable opportunité pour les agriculteurs urbains. Les enseignes de la grande distribution possèdent un patrimoine foncier considérable, au sol, en toiture ou en sous-sol. Elles peuvent offrir une sécurité de débouché pour certains produits, qui peut équilibrer des marges potentiellement faibles pour les producteurs. Elles peuvent enfin accompagner l’émergence de jeunes entreprises agricoles en les aidant sur le plan règlementaire, commercial, communication, logistique. Il y a beaucoup à apprendre au contact de ces acteurs.
Il est aussi important que le producteur soit bien accompagné, en dehors de la grande distribution. Même si GMS et agriculteur urbains ont tous deux à gagner dans un partenariat, la relation est déséquilibrée par la puissance économique et la puissance des compétences des groupes de la distribution. Il y a un risque pour l’agriculteur urbain de se voir ubériser au profit du plan marketing des supermarchés.
Enfin, accoler l’agriculture urbaine aux grandes surfaces est sans doute profitable pour toute la filière agricole sur le long terme. Ça permet d’éduquer les consommateurs à la production agricole, à la qualité des produits, aux différences de cahier des charges, de techniques de production, … Les consommateurs peuvent être confrontés au quotidien à une réalité agricole (même si elle n’est pas représentative de ce qu’est l’agriculture française aujourd’hui), plutôt qu’une seule fois par an au Salon de l’Agriculture.