L’agrivoltaique, un outil pour l’agriculture périurbaine
Loin des hangars photovoltaïques bruts qui dénaturent les campagnes depuis plusieurs années, l’Agri-voltaïque se présente comme une technologie au service de l’agriculture. Cette approche technologique pourrait sacraliser des terres agricoles sur le temps long (25-30 ans) et sécuriser la production agricole dans un contexte de changement climatique.
L’agrivoltaique, qu’est-ce que c’est ?
Théorisé dans les années 80 et mis en œuvre en Asie au début des années 2000, l’agrivoltaique combine la production d’électricité photovoltaïque et la production agricole sur une même parcelle. Ces deux productions sont a priori concurrentes dans l’utilisation de la surface et de l‘énergie lumineuse.
Tout l’enjeu de l’agrivoltaique consiste à combiner intelligemment les deux productions pour créer un système gagnant-gagnant.
De nombreux travaux de recherche sont menés depuis 2009 en France pour trouver la meilleur combinaison entre production électrique et alimentaire (sur la culture de raisin en Inde, modélisation du suivi des panneaux, ou encore les thèses liées au projet Sun’Agri)
Les bénéfices
Le premier argument de la promotion de l’agrivoltaique est l’amélioration des conditions climatiques pour les plantes. En créant de l’ombre, les panneaux photovoltaïques
- protègent les cultures des fortes chaleurs d’été,
- limitent les besoins en eau l’été, luttent contre la sécheresse
- protègent contre le gel en maintenant des températures plus élevées sous ombrières l’hiver
Les structures support aux panneaux photovoltaïques sont suffisamment hautes pour laisser circuler des engins agricoles et peuvent supporter des équipements productifs : filets anti-grèle ou anti-insectes, irrigation, …
Le second argument est évidemment financier. En installant des panneaux sur une parcelle agricole, on développe une source de revenus complémentaires. La revente d’électricité peut financer des investissements agricoles ou assurer une rente complémentaire sur plusieurs années.
Mais combiner production agricole et production d’électricité bas carbone n’est pas toujours favorable aux cultures.
Les doutes et les limites du système
On peut voir dans ces projets une manière déguisée (du bon greenwashing) de détourner des terres agricoles pour la production électrique. L’agriculture n’est alors qu’un coproduit de la production d’énergie. On retrouve cette approche dans des installations de méthanisation agricole, où la production laitière devient un sous-produit du lisier utilisé dans le méthaniseur.
Les premières installations de serres photovoltaïques en France dans les années 2010 était dans cette optique. Les ombres portées par les panneaux photovoltaïques étaient bien trop importantes pour permettre la plupart des cultures.
Il est donc primordial de bien définir ses objectifs dans le projet et d’identifier les technologies, les partenaires et le modèle économique adaptés au projet.
Les différentes solutions, et les modèles économiques
Les serres photovoltaïques et les ombrières fixes
Alternative aux centrales photovoltaïques au sol, ce sont des serres classiques dont une partie des surfaces vitrées en toiture sont remplacées par des panneaux photovoltaïques opaques (ex Serre Amarenco). Le même système existe avec des ombrières, sans parois vitrées. Les panneaux solaires apportent un certain confort thermique en été en limitant les montées en température dans la serre. Mais les ombres importantes (les panneaux sont orientés vers le sud) peuvent limiter les rendements et interdire certaines cultures. Il faut donc bien choisir le design de la serre et le taux de couverture en panneau en fonction des cultures souhaitées.
Les constructeurs de serre prennent le plus souvent en charge l’investissement dans la serre (comme ici en Isère) et se rémunèrent sur la revente d’électricité.
Des ombrières pilotables
Des acteurs de l’énergie innovent pour concilier intelligemment production d’énergie et production agricole. Le principe : les panneaux des ombrières sont mobiles et adaptent leur position aux conditions climatiques et au besoin des plantes.
Plusieurs technologies existent : des panneaux orientables (EDF, Sun’Agri) ou escamotables (Ombrea). Les mouvements reposent sur des algorithmes qui pilotent les panneaux à partir de modèles mathématiques et biologiques, pour trouver à chaque instant la meilleur adéquation entre les besoins des plantes et la production photovoltaïque.
Des entreprises de la modélisation et de l‘aide à la décision agricole participent à l’élaboration des algorithmes. Par exemple, Sun’Agri, acteur historique de l’agrivoltaïque, et ITK, spécialiste des modèles et de la donnée appliqués au secteur agricole, collaborent sur l’agrivoltaique depuis 2016 pour le pilotage et les modèles. Ils signent en 2020 un partenariat de coopération pour 15 ans pour développer leur technologie prometteuse.
Des recherches sont en cours pour identifier les cultures sur lesquelles l’agrivoltaique apporte un vrai bénéfice. Les régions à fort ensoleillement (sud de la France notamment) sont privilégiées : l’agrivoltaique participe à réduire le stress thermique des plantes.
Les modèles économiques se précisent
L’agrivoltaique a un énorme potentiel de développement dans le contexte de réchauffement climatique. Si la technologie parvient à valider qu’elle peut créer localement un microclimat favorable aux plantes, tout en autofinançant l’investissement par la revente d’électricité, nous verrons pousser ces persiennes solaires au milieux des cultures spécialisées.
Entre investissements publics et levées de fonds, les startups de l’agrivoltaique parviennent à lever des fonds pour développer leurs projets sur le temps long. Par exemple, le Groupe Crédit Agricole a pris une participation de 15 M d’euros au capital d’Amarenco, un acteur des serres photovoltaiques. Ou encore EDF qui se lance dans l’agrivoltaïque avec un démonstrateur Agri-PV en partenariat avec l’INRA.
Un outil pour structurer le territoire ?
L’agrivoltaique « intelligent » (celui où les besoins des plantes sont aussi pris en compte) peut être un outil structurant du territoire :
- les ombrières créent un micro-climat propice au maintien d’une agriculture locale et spécialisée (maraîchage, arboriculture, vigne), en la rendant résistante aux grandes chaleurs et en limitant la consommation en eau
- la production électrique est un revenu complémentaire intéressant pour les producteurs agricoles, ou elle participe à financer l’investissement dans les équipements.
- La rentabilité des structures agrivoltaïques est basée sur l’hypothèse de la revente d’électricité sur 20 à 30 ans. L’activité agricole est donc sécurisée sur la parcelle pendant cette période, et moins sujette à des rachats pour construction de lotissements ou autre écoquartier très en vogue actuellement.
Les questions à se poser avant de démarrer le projet
Quelle place pour le producteur dans le projet ? Soutraitant ou investisseur ? Est-ce que demain les collectivités pourraient investir dans ces outils pour protéger des espaces, pour sacraliser des friches et les louer à des producteurs ?
Comment se rémunère le producteur ? Car comme dans de nombreux projets innovants liés à l’agriculture, la ferme et le producteur sont souvent le support au développement de valeur par un tiers => quelle rémunération demander ?
Peut-on imaginer un monde périurbain parsemé de zones agricoles et photovoltaïques allant vers une double autonomie alimentaire (production agricole décarbonnée) et énergétique (smart grid) ?
L’agrivoltaïque sera-t-il bientôt viable économiquement sur des petites surfaces ? Je pense notamment à l’agriculture urbaine en toiture : la place est restreinte et les attentes des usagers sont très variées. L’agrivoltaïque y prendrait tout son sens.